Kae, Act Like a Girl, 1996
Fichier Apple ProREs HQ 422 (NTSC), couleur, son
L’idée du scénario de Kae, act like a girl est inspiré de la citation « On ne naît pas femme : on le devient » [1] issue du livre Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir dans lequel l’autrice présente la femme comme figure de l’Autre, aliénée par une culture masculine dominante où l’inégalité homme/femme serait creusée culturellement et non naturellement. L’intention première de cette vidéo était d’en faire un véritable film, avec un scénario, inspiré de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1976) de Chantal Akerman, où l’on peut voir Delphine Seyrig éplucher méticuleusement une pomme de terre dans un plan fixe de trois minutes.
Ainsi commence la vidéo : Kae Aoki et Minoru Ito sortent tout juste des Beaux-arts et se marient. Dans cette relation en apparence paritaire, la situation se dégrade rapidement au profit du mari. Kae abandonne sa création, pour s’occuper en « bonne » femme de son foyer, soutenir son mari, et donc « agir comme une fille » comme le suggère le titre de la vidéo.
Au début de celle-ci, on assiste à une séance de travail prémonitoire : dans un atelier des Beaux-arts, autour des vidéos des étudiants, dont Kae et Minoru font partie, un professeur regarde tour à tour leurs travaux et émet un avis. Son avis est toujours très positif lorsque l’étudiant est un homme, puis très concis quand il s’agit du travail d’une femme, en l’occurrence de celui de Kae, qui présente une vidéo dans laquelle elle met finement en relief le discours de son professeur. Selon lui, les femmes peuvent être créatives, mais uniquement sur des sujets qui les concernent : donner naissance, élever des enfants, etc. Cette vision de la femme renvoie à celle qu’émet Jean-Jacques Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert (1758) : « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. » [2] Plus tard dans ce même cours, le professeur, qui comme Rousseau attribue les créations méritantes de Sapho à la main d’un homme, demande à une de ses étudiantes : « Est-ce vraiment toi qui l’a fait ? »
Cette vidéo de Mako Idemitsu a des résonnances autobiographiques. Dans l’éducation de l’artiste tout d’abord, semble se créer depuis son plus jeune âge un clivage entre son désir d’accomplissement et une réalité imposée par toute une société qui encourage les jeunes filles à abandonner leurs velléités d’élévation intellectuelle au profit d’une maison bien tenue, tandis que les garçons sont poussés à persévérer dans leurs actions, peu importe les échecs car les « hommes sont jugés par leur travail ». [3] Pendant son mariage avec le peintre Sam Francis, Idemitsu s’aperçoit ensuite que les gens s’intéressaient soudainement à elle non pas pour elle-même, mais parce qu’elle était la femme d’un artiste éminent, la femme de quelqu’un : « La première chose qui m’a surprise après mon mariage avec le peintre Sam Francis, c’est la politesse avec laquelle j’ai été traitée dans la société américaine lorsque j’étais présentée comme Mme Francis. » [4] Son mari avait lui-même des idées très arrêtées sur le rôle d’une femme dans la vie d’un homme, et sur les personnes qui ne créent pas. Pour Francis – Idemitsu dresse son portrait dans son autobiographie What A Woman Made: Autobiography of a Filmmaker [5] –, la femme doit s’occuper de son foyer et des invités de passage, et doit également demander à son mari la permission de suivre des cours à l’université.
Comme Kae, Idemitsu se libère du joug de son mari et découvre son arme : la vidéo. Kae, act like a girl est une vidéo narrative, pleine de rage, d’ironie, de refus et de désir de transmettre à la génération suivante la volonté de s’emparer des outils de création et de prendre l
Louise Coquet, 2015
[1] Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe II : L’expérience vécue, Paris, Gallimard, [1949], p. 13.
[2] Jean-Jacques Rousseau, Lettre de J. J. Rousseau à M. D’Alembert, [Amsterdam, Marc Michel Rey, 1758, p. 193], Édition de François Poudevigne, 2014, https://obtic.huma-num.fr/obvil-web/corpus/haine-theatre/rousseau_lettre-a-d-alembert_1758, consulté le 2 décembre 2025.
[3] Le père et la mère de Kae s'adressant à leur fils.
[4] « The first thing that surprised me after I married the painter Sam Francis was how politely I was treated in American society when I was introduced as Mrs. Francis. » Mako Idemitsu, « Vivid Women, When Women Meet Women », dans Ryuko tsushin, 1970.
[5] Mako Idemitsu, Howatto a uman meido: Aru eizo sakka no jiden [What a Woman Made: Autobiography of a Filmmaker], Tokyo, Iwanami Shoten, 2003.